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"L'important n'est pas de convaincre, mais de donner à réfléchir." Bernard Werber




lundi 17 avril 2017

Faut-il construire des centrales nucléaires si on veut continuer à développer les voitures électriques?

Le parc automobile électrique français est en progression constante (1,08% en 2016 selon les chiffres du CCFA, Comité des constructeurs français d’automobiles) même s'il reste très faible. Les Français étant connus pour leur forte capacité à s’approprier une nouveauté (pour rappel : l'iPhone a exactement 10 ans et un de ses premiers marchés actuels est la France), il est difficile de comprendre pourquoi le véhicule électrique ne connaît pas le même engouement. Une des réticences souvent avancées est qu'il n'y aurait pas suffisamment d'énergie pour recharger un parc automobile tout électrifié. Regardons si cela est justifié ou si c'est une crainte irrationnelle.


La peur de la « borne sèche »

Il est très souvent évoqué que, si on devait convertir la totalité du parc automobile français à l'électrique :
  • avec le réseau actuel, les bornes de recharges ne pourraient pas toutes être alimentées en même moment,
  • et qu'il faudrait recouvrir la France de deux fois plus de centrales nucléaires, pour correctement accompagner le passage vers une mobilité électrique .

Si c'est avéré, c'est un frein fort pour passer à une voiture électrique ou rechargeable et cela mettrait fortement à mal l'ambition d'une transition énergétique, propre, vertueuse et orientée vers les énergies renouvelables.

Faisons un petit détour par les chiffres pour estimer la réalité de la recharge électrique :

Si on se base sur les données existantes, selon ENEDIS, pour recharger 2 millions de véhicules électriques, cela correspond à la production d’un seul réacteur nucléaire (soit un peu plus de 4 TWh) mais la consommation électrique supplémentaire ne serait que de 2% par an à l’échelle nationale.
Si on souhaite migrer l’ensemble des voitures particulières actuelles (soit environ 32 millions de véhicules) vers l’électrique, cela représenterait une demande électrique de 75 TWh.
Avec une production électrique française annuelle d’environ 550Twh, convertir l'intégralité du parc automobile français à l’électrique représente donc une hausse de seulement 15% de la demande électrique globale.

En synthèse :



En théorie donc, la transformation complète de notre parc automobile à l’électrique ne va donc pas mettre à terre notre parc nucléaire et ne nécessite pas la construction de nouvelle centrale électrique.

Par contre, si on regarde ce qui se passe sur une journée, avec un parc de seulement 2 millions de véhicules à recharger, la puissance nécessaire à fournir (chiffres d’ENEDIS) correspondrait à
  • avec une recharge lente 10% de la capacité électrique totale
  • avec une recharge rapide 66% de la capacité électrique totale

Cela signifie donc que le rechargement simultané d’un parc automobile électrique plus conséquent, pourrait en théorie impacter fortement le réseau électrique actuel, quel que soit le mode de recharge choisi.

Le réseau intelligent, clé de voûte pour la mobilité électrique

Le véritable enjeu à venir va donc être de savoir comment gérer l’appel de puissance demandé en cours de journée, avec des bornes de recharges rapides.

Les premiers éléments qui vont influer sur la capacité du réseau électrique actuel à répondre la montée en puissance de la mobilité électrique vont être :
  • l’infrastructure de recharge
  • le moment où on recharge (en journée ou la nuit)
Les solutions pour l'infrastructure
Concernant l’accès aux bornes, un déploiement d’ici 2020-2025 est planifié à l’échelle nationale pour multiplier les possibilités de recharges, avec une priorité à la recharge lente. En pratique cela correspond à :
  • plusieurs milliers de bornes de recharges dans l'espace publique ou via le réseau d’éclairage publique
  • l’obligation de prévoir des bornes de recharges pour les immeubles neufs et un rajout pour les immeubles collectifs
  • le déploiement de plusieurs millions de bornes de charges lentes pour la recharge domicile travail
Et pour la recharge rapide, qui ne doit correspondre qu'à des besoins ponctuels, les réseaux de ce type de bornes maillent de plus en plus vite le territoire, que ce soit le fait de constructeurs automobiles (TESLA), d'opérateurs privés (Réseau de la Compagnie Nationale du Rhône), de collectivités ou d'énergéticiens (SODETREL d'EDF).




Les solutions pour la période de recharge
La priorité première pour les énergéticiens est de pouvoir décaler la recharge des périodes fortes aux périodes creuses. Ceci implique un changement de la part du consommateur qui va devoir prendre l'habitude de recharger à domicile ou sur son lieu de travail au lieu d'aller à l'infrastructure de recharge la plus proche de son domicile pour faire le plein (d'électrons) en 20 minutes.
Pour accompagner l'usager dans ce changement de comportement, il va falloir l'informer et lui transmettre une information concernant sa possibilité de recharge. Ceci va pouvoir se faire via le développement de réseaux électriques intelligents ( ou « smart grids»), qui vont permettre aussi de piloter la recharge.
Une batterie de véhicules électriques a deux avantages :
  • elle peut fonctionner dans les deux sens, ce qui signifie qu’elle peut redonner de l’énergie au réseau. C'est ce qu'on appelle le V2G (Véhicule to GRID)
  • sa recharge peut être programmée, idéalement en période creuse
Les smart grids vont tirer partie de ces caractéristiques et permettre ainsi le lissage des appels de puissance, soit en récupérant l'énergie des batteries connectés au réseau pour la redistribuer soit en décalant la recharge à une période plus propice pour l’équilibre électrique du réseau.
Dans le cas où les smart grids bloquent la recharge complète de la batterie, cela ne devrait pas poser de problème en pratique au quotidien pour l'usager, car la distance moyenne quotidienne parcourue par une voiture est d'environ 35 kms en France, selon l'ADEME. Avec une ZOE 2ème génération de Renault, une batterie chargée à moitié permet de faire environ 120 km, ce qui est donc suffisant au quotidien.
De plus, du fait de la loi sur la transition énergétique la production électrique doit intégrer de plus en plus d’énergies renouvelables (notamment éolien et solaire), ce qui peut impliquer la gestion d'une production intermittente du fait de l’intégration de ces énergies renouvelables au réseau actuel. Pour pallier à ce problème, la solution d'une infrastructure de stockage via des batteries stationnaires est nécessaire. Et c'est là, la deuxième priorité des producteurs d’énergie, à savoir utiliser les smart grids pour piloter cette capacité de stockage et éviter ainsi une chute de réseau électrique en cas d'appel de puissance fort.
La France et l'Europe sont en tête pour la recherche et le développement de ces super réseaux intelligents, notamment via EDF et ENEDIS. Tout ceci inaugure donc une vision plutôt positive pour accompagner le déploiement d’une importante flotte de véhicules électriques.



Conclusion :
Avant qu'il y ait 32 millions de véhicules particuliers tout électrique en circulation, il va se donc passer encore quelques années. Ce qui laisse aussi du temps aux énergéticiens pour préparer cette transition vers une automobile plus propre.
Pour passer d’une gestion d’une production centralisée à une production décentralisée (en raison des renouvelables et de l’autoconsommation grandissante), il va falloir que l’équilibre du réseau électrique se fasse non plus par rapport à l’offre mais par rapport à la demande. La mise en place de réseaux intelligents est donc une solution crédible face à ce changement.
Mais cela ne pourra réellement fonctionner que si l'usage et le rapport à la mobilité électrique changent. L’usager doit devenir acteur de sa consommation, c'est-à-dire un consomm'acteur !

La limite de la mobilité électrique ce n'est donc pas notre parc nucléaire actuel mais bien nos propres comportements et nos craintes, souvent infondées.

(Le détail pour obtenir les chiffres indiqués peuvent se retrouver sur différents sites: ENEDIS, SMART-GRID, connaissancedesenergies et nos confrères ObjectifTerre, Ecosceptique)